Pierre Véronneau (1946-2020)

par André Gaudreault et Louis Pelletier,
Laboratoire CinéMédias, Université de Montréal
(Source: Laboratoire CinéMédias)

Le 30 novembre 2020, un membre « historique » du Groupe de recherche sur l’avènement et la formation des institutions cinématographique et scénique (GRAFICS) nous a quittés. Pierre, qui a aussi été professeur associé au Département d’histoire de l’art et d’études cinématographiques de l’Université de Montréal, a été membre actif, fort actif d’ailleurs, du GRAFICS, depuis la naissance du groupe en 1992 jusqu’en 2010, alors qu’il s’est mis en retrait pour mener un combat contre une maladie dont il a été, durant de nombreuses années, un survivant, et un modèle de résilience.

Pierre était un géant et il fit faire, durant près de 40 ans, des pas de géant à la Cinémathèque québécoise, dont il était un des essentiels piliers. Il a par ailleurs contribué comme pas un à développer notre connaissance du cinéma québécois. Il fut un défenseur aguerri de la préservation des archives, de la conservation des collections et de leur mise à disposition. C ‘était un être passionné et passionnant.

Nous venons de perdre un grand chercheur en cinéma. L’un de ceux qui auront permis aux études cinématographiques de trouver leur place au sein de la société québécoise et canadienne.

Nous lui devons beaucoup et il va nous manquer.

André Gaudreault
Titulaire de la
Chaire de recherche du Canada en études cinématographiques et médiatiques
et fondateur du Laboratoire CinéMédias

Pierre Véronneau avait une grande gueule. Pierre Véronneau avait aussi une grande érudition se manifestant notamment par une connaissance unique de l’histoire de la cinématographie québécoise comme du cinéma mondial. La conjonction de ces deux faits lui aura valu bien des accrochages avec ceux, nombreux, qui s’imaginent qu’une connaissance des faits, de l’économie et de la technique du cinéma n’est rien de plus qu’une marque d’excentricité incompatible avec « la vraie recherche universitaire ». Mais Pierre était plus qu’un historien pointilleux ayant œuvré pendant près de quatre décennies au développement de la Cinémathèque québécoise et de ses collections. Il était aussi un cinéphile d’une grande perspicacité, tout autant capable de jeter un éclairage nouveau sur une vue Edison de 1902 que sur le dernier film d’auteur québécois. Sa curiosité et son engagement envers la nation québécoise l’auront également mené à innover en ouvrant tout un lot de champs de recherche ayant transformé l’historiographie du cinéma au cours des dernières décennies. Pierre a de cette façon joué un rôle déterminant dans les premières tentatives rigoureuses de cartographie de la cinématographie québécoise, la « Filmographie des « vues » tournées au Québec au temps du muet » et la base de données Répertoire de la Cinémathèque québécoise, en plus de produire une exposition interactive pionnière sur l’histoire du cinéma documentaire. Mais il fut également un des premiers à comprendre que, pour une nation existant comme le Québec à la périphérie de la France, de la Grande-Bretagne, des États-Unis et du Canada anglais, l’étude de la diffusion du cinéma importait tout autant que celle de la production des films. Les historiens citeront ainsi encore longtemps ses recherches sur le travail des projectionnistes ambulants, la distribution du cinéma français au Québec, et la diffusion des films québécois en France. Peu avare de ses connaissances et de son expertise, Pierre était par ailleurs très impliqué dans plusieurs revues et réseaux de diffusion de la recherche, dont Domitor, Cinémas et l’Association canadienne d’études cinématographiques, de même que dans l’enseignement et la formation des jeunes chercheurs. C’est ainsi Pierre qui m’aura encouragé à étudier le marché de l’exploitation cinématographique au Québec et orienté vers un fonds d’archives jusqu’alors inexploité. Sans ses conseils, il ne m’aurait simplement pas été possible de compléter mon mémoire de maîtrise, ma thèse de doctorat et mon manuscrit de livre. Sa disparition fait maintenant en sorte que je ne redouterai plus de recevoir un courriel énumérant toutes mes erreurs au moment de la parution de mon prochain article. Et ça m’attriste.

Louis Pelletier
Laboratoire CinéMédias
Université de Montréal

 

In Memoriam Pierre Véronneau
By Martin Barnier

Bien que je n’ai pas eu souvent l’occasion de rencontrer Pierre, ce fut une chance incroyable pour moi de discuter avec lui à Montréal. Il m’a aidé à trouver des documents sur les premiers films parlants diffusés au Québec. Grâce à lui j’ai pu faire des articles et chapitres d’un livre. Il avait ce sourire et cette douceur dans l’accueil qui fait qu’on ne pouvait pas l’oublier. Je l’avais rencontré au congrès Domitor de 1998 à Washington. Puis plusieurs fois depuis, surtout en allant à Montréal. 

 

In Memoriam Pierre Véronneau
By Scott Curtis

Pierre was the Domitor Treasurer during Frank’s term as President and through the first two years of mine, until he stepped down in 2010 to focus his attention on his health. That he succumbed ten years later is a testament to his resilience and positive attitude. Indeed, those of us lucky enough to know him will doubtless agree that his warm and friendly disposition—the expression of a genuinely good heart and soul—made him a pleasure to work with (although Louis’s tribute points to Pierre’s prickly side!). At least for me, he was optimistic and indispensable as the EC navigated Domitor’s history and future. He helped collect dues—back in the day when we did that by hand at Pordenone—and he helped gather material for the organization’s history. He worked as hard as anyone, harder than most, to make Domitor a community of scholars and archivists. He did all of this with a ready smile, which is what I will miss most about him. We all owe him a great debt.  

 

In Memoriam Pierre Véronneau
By Frank Kessler

Je suis très touché d’apprndre la triste nouvelle du décès de Pierre. Il était au CA de Domitor quand j’étais président et parmi la multitude des choses qu’il a fait pour notre association il faut compter ses efforts pour documenter son histoire. Sabine et moi, nous l’avons vu la dernière fois en été 2019 chez lui, quand nous passions nos vacances au Canada. Ce fut, comme toujours, une rencontre chaleureuse, pleine d’humour et amicale. Il y avait  – bien évidemment – un barbecue sur son balcon. Pierre nous parlait avec beaucoup d’enthousiasme de ses projets, mais il nous racontait aussi, que les possibilités pour le traitment de son cancer, c’est-à-dire de le ralentir le plus possible, se reduisaient. Pierre était non seulement un grand spécialiste du cinéma québecois, mais aussi l’un de ceux qui ont marqué l’histoire des archives cinématographiques en étant ouvert aux échanges avec les universitaires, en partageant leurs connaissances, en stimulant la recherche. Il a été une personnalité importante pour nous, à Domitor, pour le monde des archives cinématographiques, pour la recherche et pour tous ceux qui aiment le cinéma. C’est infiniement triste de penser que nous ne pourrons plus jamais nous trouver autour d’une table avec lui, parler avec lui et l’entendre rire de son rire chaleureux québecois. 
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I am deeply moved by the sad news about Pierre’s passing away. He was an EC member when I was president and among the many things that he did for our association we must not forget his efforts to document its history. Sabine and I met him for the last time in summer 2019 at his home, when we spent our holidays in Canada. As always, we had a wonderful evening together – and of course there was a barbecue on his balcony. He talked enthusiastically about his projects, but also told us that there were less and less options for treating his cancer, meaning to slow it down as much as possible. Pierre was not only an expert on French Canadian Cinema, but also one of those who left their mark on the history of film archives, opening up these institutions for contacts and exchanges with academics, sharing their knowledge and stimulating research. Pierre was a very important person, for us at Domitor, for the world of film archives, for research and for all those lovers of cinema. It is infinitely sad to realise we will never again sit together with him talking and hearing his warm Québecois laughter.

 

In Memoriam Pierre Véronneau
By Priska Morrissey

Le décès de Pierre est une très triste nouvelle pour Domitor et la communauté des historiens du cinéma. Merci, Louis, de nous avoir transmis ce bel hommage et merci pour ces belles réactions qui nous rappellent sa générosité, son investissement dans l’association comme auprès des chercheurs qui ont eu la chance d’échanger avec lui. Frank, il a suffi que tu évoques son rire pour que je l’entende résonner. J’ai eu moi aussi la chance de rencontrer Pierre à Pordenone et c’est grâce à lui que je suis entrée dans l’association Domitor. Il était alors trésorier, veillait à ouvrir l’association à de tout jeunes chercheurs ainsi qu’effectivement, à conserver les traces de l’histoire de l’association. L’annonce de sa maladie a été un choc. Pierre était un roc et a résisté à la maladie pendant de nombreuses années. Il ne s’en plaignait guère, même s’il pouvait aborder le sujet avec franchise. En revanche, il était souvent atterré par notre monde et les événements politiques et suivait attentivement l’actualité française sur laquelle il m’interpellait fréquemment 🙂 Il avait également conservé toute sa curiosité pour les recherches en histoire du cinéma qu’il suivait avec la perspicacité que nous lui connaissions. Il restera pour moi un modèle d’ouverture, de curiosité, d’exigence scientifique, d’engagement dans notre monde, mais aussi de gentillesse et de sensibilité. 
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Pierre’s death is very sad news for Domitor and the community of film historians. Thank you, Louis, for having sent us this beautiful tribute and thank you for the wonderful reactions that remind us of his generosity, his investment in the association and in the researchers who had the opportunity to talk with him. Frank, you only had to evoke his laughter for me to hear it resonate. I too had the chance to meet Pierre in Pordenone and it is thanks to him that I joined the Domitor association. He was the treasurer at the time, and he made sure that the association was open to young researchers, and that the traces of the association’s history were preserved. The announcement of his illness was a shock. Pierre was a rock and resisted the disease for many years. He hardly complained about it, even if he could approach the subject frankly. On the other hand, he was often dismayed by our world and political events and followed French current events closely, which he frequently questioned me about 🙂 He also had kept all his curiosity for research in the history of cinema which he followed with the insight we knew him. He will remain for me a model of openness, curiosity, scientific rigor, involvement in our world, but also kindness and sensitivity. 

 

In Memoriam Pierre Véronneau
By François Amy de la Bretèque

Moi aussi je suis très ému d’apprendre le décès de Pierre même si l’on pouvait s’y attendre depuis quelques années. Il paraissait résister à sa maladie… Je connais Pierre depuis très longtemps, au moins depuis le congrès sur les premiers ans du cinéma français à Perpignan. Pierre s’était rendu chez Marcel Oms et il était resté depuis un fidèle compagnon de l’Institut Jean-Vigo. Il était venu plusieurs fois au festival Confrontation. nous nous voyions régulièrement aux congrès de Domitor mais aussi à Pordenone, à Bologne, et dans divers assemblées. Il avait reçu comme stagiaire à la Cinémathèque Québécoise une de mes étudiantes de Montpellier qu’il avait généreusement accueillie chez lui. de nombreux souvenirs personnels que j’ai de lui, je retiendra la sortie organisée par Leonardo Quaresima dans les vignobles du Frioul, où nos avions partagé de nombreux verres: Pierre était reparti avec un casier d’une douzaine de bouteilles, je me demande encore comment il a pu emporter cela en avion… Bref, un ami, un compagnon qui disparait, cela en fait beaucoup… Mais que Domitor continue!