Musée autrichien du film
Vienne, Autriche, 12–15 juin 2024
La période de l’histoire du cinéma s’étirant de 1895 à 1915 est aujourd’hui connue comme celle du « cinéma des premiers temps ». Au moment de sa création dans les années 1980, cette expression se voulait une réponse à un modèle antérieur d’historiographie du cinéma ayant longtemps réduit cette période à une affaire de « précurseurs primitifs » ayant laborieusement ouvert la voie à un « âge d’or » du long métrage muet dans les années 1920. À la suite du congrès de la FIAF organisé à Brighton en 1978, un intérêt inédit est né pour les premiers films eux-mêmes, et non plus pour ce qu’ils annonçaient. Cette redécouverte procède alors d’un retour aux archives, de même que de nouvelles initiatives en matière de préservation et de programmation des films des premières décennies du cinéma. Dans ce contexte, la distinction entre le « cinéma des premiers temps » et la production muette plus tardive a amené un regain d’attention pour les premières décennies de la production cinématographique, en plus de permettre à ces films d’être considérés comme des formes uniques, avec leurs propres styles visuels, stratégies narratives, conventions d’exploitation et liens contextuels.
Bien entendu, cette distinction opérée entre « le cinéma des premiers temps » et « le cinéma muet » n’a jamais été absolue. Dans un essai fondateur sur le « cinéma des attractions », Tom Gunning nous a ainsi rappelé que l’avant-garde moderniste des années 1920 brouillait déjà les cartes en trouvant une source d’inspiration essentielle dans le cinéma non narratif de la période ayant précédé la Première Guerre mondiale. La réévaluation des rapports entre l’avant-garde et le cinéma des premiers temps constitue ainsi un thème approprié pour ce dix-huitième colloque de Domitor, qui se tiendra dans une ville, Vienne, ayant représenté un centre d’activité important pour les avant-gardes dès la fin du dix-neuvième siècle. L’institution hôte du colloque, le musée autrichien du film (Österreichisches Filmmuseum), est ainsi reconnue depuis sa création dans les années 1960 pour les rapports étroits qu’elle entretient avec les avant-gardes, de même que pour ses activités de préservation ayant eu un impact de premier ordre sur nos conceptions et nos connaissances des pratiques et créations liées aux avant-gardes.
Plus largement, ce colloque cherche à réinterroger ce que signifie et représente le « cinéma des premiers temps » aujourd’hui, à une époque où la discipline de l’histoire du cinéma — tout comme les archives, les festivals et la programmation — traverse de profonds changements. Sans ignorer l’impact fructueux que le paradigme du cinéma des premiers temps décrit ci-dessus a eu sur la recherche, il convient de se demander si la séparation désormais conventionnelle entre le cinéma des premiers temps et le cinéma muet n’a pas introduit ses propres obstacles ou exclu d’autres connexions. L’insistance sur cette séparation historique peut-elle rendre compte d’histoires cinématographiques plus globales, prenant notamment en compte la chronologie des pratiques cinématographiques en dehors de l’Amérique du Nord et de l’Europe ? Quel regard porter sur la période 1890-1930 quand on interroge les questions de race et de genre ? Comment l’attention portée à des secteurs cinématographiques jusqu’ici peu étudiés (éducation, publicité, science) modifie-t-elle nos chronologies des débuts du cinéma ? Qu’impliquerait une définition du « cinéma des premiers temps » non pas chronologique, comme une période fixe, mais idéologique ou stylistique comme un ensemble de pratiques visuelles, narratives, industrielles et technologiques ?
En bref, peut-on penser de manière productive à un « long cinéma des premiers temps » — ou même à des « longs cinémas des premiers temps » — par analogie avec le concept de « long dix-neuvième siècle » ? Quels sont les échos, les continuités ou les renouvellements du cinéma des premiers temps qui se répercutent sur les périodes ultérieures, que ce soit à travers le cinéma muet des années 1920, les avant-gardes des années 1970 ou les films d’archives contemporains ? Ce colloque invite à interroger — directement ou indirectement — la question de la périodisation des débuts du cinéma. Il permettra de réfléchir à la pertinence d’une approche historiographique qui d’ailleurs a été fondatrice de l’identité de Domitor.
Citons, parmi les sujets possibles :
- Repenser la catégorie du « cinéma des premiers temps » indépendamment de l’Amérique du Nord et de l’Europe
- La traduction de l’expression « cinéma des premiers temps » et ses définitions dans d’autres langues
- Réimaginer l’histoire du cinéma en se basant sur les configurations spatiales plutôt que sur la périodisation temporelle et ce que ce changement signifie pour la théorie du cinéma
- Repenser la relation entre les avant-gardes (années 1920 ou plus tard) et le cinéma des premiers temps
- Historiographies du « cinéma utilitaire » (scientifique, industriel, éducatif, etc.)
- Nouvelles histoires du cinéma d’animation
- L’impact des premières pratiques cinématographiques sur la dichotomie contemporaine entre le cinéma d’animation et le cinéma en prises de vues réelles
- Examiner les identités (représentations et/ou cinéastes eux-mêmes) au-delà du clivage temporel cinéma des premiers temps/cinéma muet
- Le cinéma des premiers temps et l’intersectionnalité
- Relecture postcoloniale des premières historiographies du cinéma
- Cultures visuelles non occidentales et le cinéma des premiers temps
- Géographies et espaces des premiers films au-delà de l’occident
- La diffusion et la réception des débuts du cinéma jusqu’aux années 1920
- Spectateurs de films d’archives contemporains et festivals de films muets
- Influences du cinéma des premiers temps sur les pratiques et l’esthétique des films de collage (found footage, archives, etc.)
- Les nombreuses « survivances » du cinéma des premiers temps dans l’entre-deux-guerres et au-delà
Un point de départ serait de se demander, dans chacun de ces domaines : dans quelle mesure la dichotomie entre « le cinéma des premiers temps » et les périodes ultérieures nous aide-t-elle à comprendre l’objet en question ? Cette distinction permet-elle des champs d’investigation productifs ? Les nouveaux objets de la recherche en histoire du cinéma vont-ils, d’une certaine manière, à l’encontre de ce précédent cadre ? Nous accueillerons avec plaisir les contributions qui se concentrent sur des études de cas spécifiques ainsi que celles qui entreprennent des explorations théoriques plus larges de l’un des sujets suggérés ou d’autres sujets connexes.
Modalités de soumission des propositions
Les propositions doivent être envoyées à domitor2024@gmail.com avant le 1er décembre 2023. Toute question relative au colloque doit également être envoyée à cette adresse. Les propositions de communication individuelles ne devront pas dépasser 300 mots, auxquels s’ajoutent une bibliographie de trois à cinq sources et une brève notice biographique. Les propositions peuvent être rédigées en anglais ou en français. Seules les communications dans l’une de ces deux langues pourront être présentées au colloque. Lors du colloque, les interventions ne devront pas excéder la durée maximale de 20 minutes de présentation (éléments audiovisuels inclus). Les intervenants seront invités à soumettre la version finale de leur communication avant le 5 mai 2024 pour permettre la traduction.
Les propositions de panels préconstitués de trois ou quatre participants seront également étudiées. Celles-ci doivent être adressées par la présidente ou le président de séance et se composer du regroupement des propositions de contributions individuelles ainsi que d’une brève présentation expliquant la raison d’être du groupe. Bien que l’adhésion à Domitor ne soit pas nécessaire pour soumettre une proposition, toute personne présentant une communication lors du colloque devra être membre de l’association : domitor.org/fr/adhesion. Pour plus d’information sur Domitor, l’association internationale de recherche sur le cinéma des premiers temps, nous vous invitons à visiter le site domitor.org/fr/.
Bourse de recherche diversité
L’équipe de Domitor a le plaisir d’annoncer la poursuite de sa bourse de recherche diversité, qui subventionne la participation au colloque bisannuel de Domitor par le biais d’une bourse de 500 dollars et d’une exonération des frais d’inscription. L’objectif de cette bourse est de visibiliser et soutenir les travaux de chercheur·se·s des pays du Sud et/ou s’identifiant comme des personnes racisées ou comme des membres d’une communauté marginalisée. Nous accueillons des propositions explorant un large éventail de formes (de l’empirique au spéculatif), ainsi que les approches interdisciplinaires du cinéma des premiers temps. Étudiant·e·s (master et doctorat), jeunes chercheur·se·s et chercheur·se·s indépendant·e·s sont encouragé·e·s à postuler. Le/la bénéficiaire de cette bourse sera également invité·e à publier sa contribution dans les actes du colloque. Si vous souhaitez postuler à cette bourse, il vous suffit de l’indiquer dans l’e-mail accompagnant votre proposition de communication au colloque 2024 à domitor2024@gmail.com. Aucun document supplémentaire ne sera nécessaire.