Par Coraline Refort
Durant l’édition 2021, malgré des projections réduites à quatre rendez-vous quotidiens pour permettre la désinfection des lieux et un théâtre ne pouvant accueillir que la moitié de ses spectateurs, pas moins de 75 films ont été proposés à un public présent au rendez-vous, fidèle à Pordenone et à l’Italie. Ce sont peut-être ces-mêmes restrictions que l’on a tous vécues au cours de ces derniers mois qui nous permettent aujourd’hui de prendre encore plus de plaisir au quotidien, de s’émerveiller encore et toujours face à la beauté de ces films sublimés par une musique entêtante, parfois par du chant ou encore par un byeonsai coréen. La 40ème édition des Giornate a surtout mis en valeur des films des années Vingt, laissant peu de place au premier cinéma mais offrant cependant une variété appréciable de films occidentaux et asiatiques. Après avoir vu l’édition 2020 entièrement en modalité virtuelle, l’une des principales caractéristiques des Giornate de cette année est le succès de l’édition en ligne qui se déroulait cette fois en parallèle et qui a permis de toucher un large public international. Espérons que cette modalité mixte soit définitivement adoptée, car elle donne l’occasion non pas de sacrifier ce que sont les Giornate mais d’élargir son concept et de le diffuser. Notons de plus la réduction significative du nombre de projections, encore une fois due au contexte sanitaire, mais qui a permis d’avoir plus de temps pour apprécier les films et gagner en qualité de concentration et en capacité de réflexion, évitant l’effet de lassitude provoqué par l’accumulation et la répétition de films. Retenons également l’efficacité du binôme court et long métrage par session, rendant chaque projection dynamique et plus complète.
Le festival a été inauguré par la projection du chef d’œuvre d’Ernst Lubitsch Lady Windermere’s Fan (1925), dont la nouvelle restauration que le Museum of Modern Art de New York a réalisée à partir d’une copie originale nitrate était accompagnée par une partition pour trio composée et dirigée par Carl Davis. Cette nouvelle version digitalisée a permis de (re)découvrir ce bijou de Lubitsch, notamment grâce à une qualité d’image unique et à une musique évocatrice de ton très Belle Epoque. Une belle entrée en matière, allègre et festive, qui s’est avérée prometteuse pour la suite.
Les jours suivants, en revanche, ce fut au tour comme toujours des programmes thématiques qui sont édités chaque année par des universitaires et archivistes internationaux. Un des plus marquants a sans doute été celui dédié à Ellen Richter (1891-1969), actrice et productrice autrichienne populaire dans de nombreux pays, mais dont le nom a été oublié et la majorité des films (plus de 70 longs métrages) perdus. Aujourd’hui, et notamment grâce au travail des chercheurs Oliver Hanley et Philipp Stiasny, des pépites ont été retrouvées dans les archives d’Allemagne, de Russie, des Pays-Bas et de France. Le public de Pordenone a ainsi pu découvrir une Ellen Richter aux multiples facettes et aux rôles extrêmement variés – bohémienne, vamp, aviatrice, danseuse, princesse arménienne – capable d’éblouir le spectateur dans des films éclectiques et surprenants. Le programme incluait également Der Juxbaron, (Willi Wolff, 1927), film produit par Ellen Richter mais dans lequel elle n’apparaît pas, laissant la place à une Marlène Dietrich encore au début de sa carrière.
Plus surprenant a été le programme dédié aux films coréens, dont on sait malheureusement encore peu de choses car trop peu de matériel nous est parvenu, limitant conséquemment les recherches. Grâce à Sungji Oh de la Korean Film Archive de Séoul et au directeur du Filmmuseum de Munich, Stefan Drössler, les Giornate nous ont offert l’occasion unique de découvrir de très rares films muets coréens. Parmi les films projetés notons surtout les films muets bien que produits après les années 30, comme Geomsa-Wa Yeoseonsaeng (A Public Prosecutor and a Teacher, Yun Dae-ryong, 1948), commenté par Sin Chul, célèbre byeonsa coréen, et Han Seongsimui Him (The power of sincerity, 1935), curieux film produit par le département cinéma du gouvernorat japonais de Corée pour encourager les citoyens à payer leurs impôts. De vraies surprises qui, espérons, encourageront un plus large public à s’intéresser à cette époque méconnue du cinéma coréen.
Notons également le grand succès obtenu par le programme dédié aux scénaristes féminines américaines, dont le rôle crucial et fondamental dans la création de l’industrie cinématographique étasunienne est enfin reconnu à travers des films efficaces qui embrassent tous les genres, de la comédie aux drames policiers, de la romance aux films de guerre, et du mélodrame aux westerns. Parmi les scénaristes présentées, retenons Sada Cowan et Beulah Marie Dix, autrices de Fool’s Paradise de Cecil B. DeMille (1921). On est d’emblée impressionné par l’imagination de DeMille et des scénaristes qui nous portent de la comédie au drame le plus larmoyant en quelques instants. Toujours dans la famille DeMille, le film Miss Lulu Bett (William C. de Mille, 1921) écrit par Clara Beranger a remporté un franc succès, mené par un personnage féminin (Lulu Bett, Lois Wilson) complexe et émouvant.
Cependant, la plus grande surprise de la semaine est arrivée à mi-parcours, avec le film Erotikon de Gustav Machatý (1929). Moins connu que Ecstasy (1933), Erotikon reste cependant une pellicule emblématique de la filmographie du réalisateur tchèque, dont la narration somme toute classique et le style moderne ont bénéficié d’un succès international à la sortie. Sublimée par la musique composée par Andrej Goričar et jouée par l’Orchestra of the Imaginary (Ljubljana), la qualité photographique de Václav Vich et la grâce du récit percutent le spectateur, comme une bulle de poésie au cœur de la 40ème édition au style somme toute bien (trop ?) étasunienne. Certes Ita Rina n’a pas eu la carrière d’Hedy Lamarr, mais son jeu et son charme fascinent toujours autant, oscillant entre victime, proie et femme fatale.
La semaine a été également marquée par la projection historique du film Le Roi du Cirque (Edouard-Emile Violet, 1924), dernier film de Max Linder avant son suicide tragique. Longtemps considéré comme perdu, la restauration de ce bijou par Lobster Films est presque un miracle, compte tenu du nombre de ressources utilisées (réparties dans pas moins de 11 pays différents !) et de la détérioration de certaines pellicules. La qualité finale du film est cependant impressionnante au vu de l’entreprise titanesque de départ. Le Roi du Cirque, considéré comme perdu pendant un siècle, a finalement retrouvé son public.
Enfin, on ne peut conclure ce bref résumé sans parler du film de clôture du festival, le spectaculaire Casanova (Alexandre Volkoff, 1927). Déjà projeté à Pordenone en 2003 après sa restauration par Renée Lichtig, le film a fait l’objet d’une ultérieure restauration menée par la Cinémathèque Française en 2016, grâce à un interpositif ininflammable fabriqué à partir d’un négatif original en nitrate. Accompagné cette fois par une musique composée par Günter A. Buchwald et jouée par l’Orchestra San Marco de Pordenone, Casanova fascine encore par sa modernité, par le merveilleux de ses costumes et de ses décors qui nous plongent directement dans l’ambiance décadente de Venise. Une fin de festival carnavalesque, joyeuse et somptueuse. Digne de cette 40ème édition.
Coraline Refort est doctorante en histoire du cinéma à l’Université de Florence, en cotutelle avec l’Université La Sorbonne Nouvelle. Sa thèse porte sur la filmographie française d’Alice Guy. Ses directeurs de thèse sont Cristina Jandelli en Italie et Laurent Véray en France. Elle a remporté le prix Fotogramma 2020 du meilleur mémoire de maîtrise de cinéma en Italie, décerné par l’AIRSC (Associazione Italiana per le Ricerche di Storia del Cinema, fondée en 1964).
Coraline Refort is a Ph.D. student in History of Cinema at the University of Florence, in cotutelle with the University La Sorbonne Nouvelle. Her dissertation is about the French filmography of Alice Guy-Blaché. Her supervisors are Cristina Jandelli in Italy and Laurent Véray in France. She won the 2020 Fotogramma Award for the best master’s thesis in cinema in Italy, given by the AIRSC (Associazione Italiana per le Ricerche di Storia del Cinema, founded in 1964).